lundi 1 octobre 2012

Vient de paraître ! Hollywood movies




Table des matières


Des vieilles humanités aux nouvelles études filmiques (S. HUBIER)

Les nouvelles comédies hollywoodiennes (V. BESAND)

L’imaginaire du mob movie (D. COURTINE)

Dichotomie du mort-vivant (A. DOMÍNGUEZ LEIVA)

Psychologie et réflexivité du cartoon (C. GAUZI)

L’exemple du cinéma reaganien (S. HUBIER)

L’influence du film noir américain dans un roman espagnol du
franquisme (E. LE VAGUERESSE)

De l’influence du 11 septembre sur quelques films américains (Y.
MALGOUZOU)

Le biopic à l’épreuve des théories de la fiction (V.-A. PIÉGAY)

The Erotics of Auschwitz (G. VITIELLO)


samedi 5 mai 2012

Colloque "Désirs et Délices" - Université de Dijon. Décembre 2012




COLLOQUE "DÉSIRS ET DÉLICES"


Le colloque Désirs et délices, qui se tiendra à l'Université de Bourgogne les 13 et 14 décembre 2012, fait suite aux deux colloques organisés à Dijon, en 2004 et 2006, dont les Actes sont parus aux éditions du Murmure, respectivement en 2005 et 2008, sous les titres : Le Supplice oriental dans les arts et la littérature (dir. par Muriel Détrié et Antonio Dominguez Leiva), et Délicieux supplices : érotisme et cruauté en Occident (dir. par Sébastien Hubier et Antonio Dominguez Leiva). 
Ce troisième volet, organisé par Béatrice Jongy (Université de Bourgogne), Sébastien Hubier (Université de Reims) et Antonio Dominguez Leiva (UQAM/Canada), fera également l'objet d'une publication aux éditions du Murmure.


Axe 1 : L'automédialité érotique

L'automédialité désigne la construction du sujet à la fois dans l'écrit, l'image et les nouveaux médias (B. Jongy, L'Automédialité contemporaine, Revue d'Etudes culturelles n° 4, Dijon, Abell, 2008). Pour, quel terreau plus fertile pour la mise en scène, la figuration de soi comme personnage, que le fantasme sexuel ? Celui-ci questionne en effet l'identité, le genre, et les métamorphoses du temps. La scène érotique, libérant l'infini des possibles, permet l'élaboration d'un moi fantasmatique et protéiforme… 
On sera amené à s'interroger sur le rôle du lecteur/spectateur de cette invention de soi, comme le font Frédérique Toudoire-Surlapierre à propos de Doubrovsky ("Autocritique. Hétérosexualité", in Régine Battiston et Philippe Weigel dir., Autour de Serge Doubrovsky, Orizons, 2010) ou Sébastien Hubier dans ses travaux sur l'intimité érotique (http://www.etudesculturelles.blogspot.fr/2009/06/lintimite-erotique-1.html).
On abordera les différents médias (littérature, peinture, photographie, film, séries télévisées, bande dessinée, vidéos, installations), sans oublier les formes autobiographiques nouvelles engendrées par l'usage d'internet (webcams, photographies numériques, blogs…). 


Axe 2 : Erotisme et gourmandise

Les liens entre érotisme et gastronomie – ou, plus exactement, gourmandise au sens où cette dernière est le délicieux péché de qui recherche le plaisir par la bonne chère – sont aussi anciens qu'étroits. L'art culinaire fut longtemps considéré comme une manière d'échauffer les sens, d'inciter au jeu de l’amour aussi nombreux que les plaisirs de la table. Les cuisiniers italiens de la cour de Catherine de Médicis auraient, si l'ont en croit Brantôme, ceci de remarquable qu'ils savent « accoustrer et accoustumer à la friandise et lubricité ». On se souvient que la Justine de Sade, affirme ne connaître « rien qui chatouille aussi voluptueusement [s]on estomac et [s]a tête que les vapeurs de ces mets savoureux, qui viennent caresser le cerveau, le préparent à recevoir les impressions de la luxure », que la Pompadour se servait de « pastilles galantes », bonbons de chocolat fourrés d'ambre et d'une cantharide pour maintenir en éveil son désir pour le roi, que Casanova voyait dans les huîtres « un aiguillon de l’esprit et de l’amour ». Ainsi les plaisirs de la chair sont-ils, culturellement, liés à ceux de la chère. Ce sont précisément ces liens qu'il conviendra d'étudier, soit dans le champ littéraire, soit dans le domaine de la culture de masse, soit dans le cadre, anthropologique, de la « cuisine magique », celle des philtres et sortilèges faisant la part belle aux épices aphrodisiaques prétendument capables d'incendier les corps.


Axe 3 : Erotisme et fantaisie

« Les adultes ont besoin de littérature obscène, tout comme les enfants ont besoin de contes de fées, comme soulagement à la force oppressive des conventions ». Cette célèbre réflexion de Havelock Ellis fut comme l´on sait reprise par Henry Miller, Boris Vian et Robbe-Grillet avant de devenir un lieu commun de l´apologie érotomane. Au-delà de la boutade quelque peu provocatrice, on touche là à une affinité essentielle entre la « suspension de l´incroyance » féerique et la « pornotopie » définie jadis par Steven Marcus. De cette affinité témoignait déjà la tradition classique des des nymphes et des satyres mais aussi le courant populaire qui va des fées amantes du Moyen Âge à leur transsubstantiation dans les fées libertines des Lumières (La Fée Paillardine, etc.). Des diableries porno-romantiques aux fées et succubes hystériques de la Fin-de-Siècle s´affirme la réaction puritaine bourgeoise qui place la fantaisie érotique sous le sceau de l´inquiétude fantastique, la transgression et la répression. Inversement, depuis la révolution sexuelle et le triomphe de la pornoféerie dans la sexploitation cinématographique et dans les bandes dessinées pour adultes (des fumetti neri italiens aux Bondage Fairies états-uniennes), le lien entre pornotopie et fantaisie n´aura cessé de s´étaler comme libération ambiguë.


Les propositions sont à envoyer avant le 31 juillet 2012, en français, allemand, italien, espagnol, portugais ou anglais, par courrier électronique, 
concernant l'axe 1 à Béatrice Jongy : bjongy@gmail.com
concernant l'axe 2 à Sébastien Hubier : sebastien.hubier@univ-reims.fr
concernant l'axe 3 à Antonio Dominguez Leiva : antoniodominguezleiva@yahoo.es

vendredi 10 février 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 10














Loin d’être idiots, nos courts-métrages contemporains – qui, comme l’épisode de Nana, associent beauté, jeunesse, brutalité et sottise – reprennent quantité de clichés des érotismes anciens et les déconstruisent jusqu’à mettre en place les canons de nouveaux désirs et de voluptés inédites. Un exemple, pour rester dans le domaine de la jeunesse érotisée et des Sexy Teddies : une publicité pour Love Cosmetics, ligne de produits de beauté de M&J, la célèbre firme de Philadelphie. L’affiche montre, en plan rapproché, une fille superbe et très jeune. Elle tient, par sa dignité et sa décence, des petites demoiselles sadiennes : « impossible d’être plus jolie : faite à peindre, une physionomie douce et céleste, blonde, de grands yeux bleus pleins du plus tendre intérêt »1. Son regard, pâle et vide, fixe celui qui la regarde comme l’Albaydé de Cabanel, véritable accoste muette. Cependant son visage, atone et froid, renvoie surtout à la figure de Méduse (Arnold Böcklin) et aux femmes fatales de la Belgique fin-de-siècle ou de la Vienne de Klimt. Ces jeux transparents sur l’arrière-texte méduséen sont renforcés par l’attitude de l’ours que la jolie nymphette serre sur sa jeune poitrine. Car il ne fait pas de doute qu’il est à la fois tétanisé et soumis par sa beauté. Peut-être même cet ursidé de mohair est-il un ancien amant devenu chose, peluche, par amour. Il est significatif, à cet égard, que l’affiche soit pensée comme un miroir : le regard de la fille et de l’ours renvoient l’un à l’autre, de même que le blanc du plantigrade fictif résonne avec le corsage à demi-défait de la fille et que les lèvres de l’un sont d’une couleur parfaitement identique à celles de l’autre, toujours dénué de sourire. Toutefois, conformément à la logique postmoderne de multiplication ad infinitum des références, cette affiche est aussi un jeu sur la Lolita de Nabokov (« Love’s Baby Soft. Because innocence is sexier than you think ») et une reprise amusée de la Belle et la Bête, cette histoire qui, depuis Apulée et Madame Leprince de Beaumont, s’est peu à peu hissée au rang de mythe – mythe que notre époque affectionne particulièrement, de Disney à Serpieri et son adorable Druuna en passant par les différentes versions hollywoodiennes de King Kong.
Des interprétations très semblables vaudraient – ceteris paribus sic stantibus – pour les magnifiques clichés de Coco Rocha pris par Arthur Elogort pour l’édition russe du magazine britannique Tatler en octobre 2010. On y retrouve, outre l’exceptionnel éclat des grands regards clairs, l’« énigamicité » des sourires, la sublimité des toilettes extravagantes et somptueuses de Christopher Kane et Phillip Lim, la mise en scène outrancière de la sophistication dans des cadres pourtant pastoraux, l’alliance baroque de la malignité et de la naïveté, le mariage décadent de la dureté et de la gentillesse, la combinaison de deux rôles complémentaires, la femme fatale et la femme-enfant, le rôle central du Sexy Teddy, lequel sert in fine la subversion des grands récits, en l’occurrence l’histoire folkorique de Boucle d’or et des trois ours. Goldilocks and the Three Bears ? Serait-ce donc là l’horizon indépassable de l’érotisme postmoderne ? En tout cas, il nous en dit beaucoup sur nous-mêmes et sur notre condition postmoderne, relation originale au temps, à autrui, nouvelle façon de vivre en société, de voir la beauté et de la désirer.
1 D.A.F. de Sade, Juliette ou les prospérités du vice, Paris, Gallimard, « la Pléiade », 1998, p.181.

mardi 7 février 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 9














Le corps est devenu le support d’enjeux symboliques, en foi de quoi les préoccupations strictement biologiques s’estompent au profit de pratiques qui l’embellissent, et ce, d’autant que le fitness ou les spas, ces nouveaux thermes somptueux et exotiques, ont aussi un contenu axiologique qui associe l’effort à l’agrément, le bien-être au luxe. Ces dimensions symboliques sont encore plus importantes dans les champs de la parure, de la beauté, de la séduction – bref, de l’érotisme. Ce dernier – on peut toujours le regretter ! n’est plus seulement un art, il correspond à un dispositif de socialisation, c’est-à-dire qu’il impose des codes de conduite aux individus. Ce sont ces codes – maquillage, mode, cosmétiques, lingerie, gestes, regards, expressions – qui permettent ensuite la séduction, laquelle est une communication sociale avant d’être émotive et kinésique1. Au nom de quel puritanisme (au sens où le puritanisme conjugue le rejet des apparats à une morale tellement stricte qu’elle conduit à la névrose) blâmer les parfums qui appellent à la volupté, les crèmes qui adoucissent les peaux, les pommades qui enrayent heureusement la décrépitude ? Parce que les industries cosmétiques sont des multinationales cotées en bourse ne produisant pas gratis pro deo leurs philtres et leurs onguents ? Et alors ? De même que Hollywood, « the dream factory », fait commerce du rêve, elles nous vendent de la beauté, ce qui n’est déjà pas si mal. Pourquoi faudrait-il désavouer les justaucorps dont les décolletés mettent en valeur les jolies poitrines de nos lolitrashes ou blâmer ces shorts de jean déchiré qui, rebrodés de dentelles, embellissent les jambes bronzées de nos jeunes filles en fleurs postmodernes ? De même, il est désormais convenu de s’en prendre avec force à la tyrannie de la minceur et au diktat de la jeunesse. Mais, préfèrerait-on donc un monde de gros et de vieillards ? Serait-ce plus érotique ? Certes, les fat admirers et les gérontophiles ont droit à leur désir propre. Mais qu’il soit au moins permis, en retour, à ceux qui ne seraient guère séduits par les manifestes de la size acceptance ou les mirages de la matrolagnie de souscrire à l’idée de Baudrillard que « le corps est notre plus bel objet de consommation »2 et de jouir à leur guise de leurs fantasmes normés. Au surplus, non seulement la coquetterie et le narcissisme postmodernes sont fascinants (au sens où la fascination est une dialectique de l’attirance et de la répulsion), mais encore s’inscrivent-ils dans un mouvement, fort ancien, d’érotisation de l’hygiène3. Ce dernier explique l’importance aussi bien des représentations culturelles des tribades (Les Bains maures de Gérôme) et des odalisques (Hugo, Ingres) que l’image récurrente de la femme au bain (Diane, Bethsabée, Suzanne, pour ne rien dire des Jeunes Femmes au bain de Picou ou de Lempicka). Ce motif associe immanquablement les figures qui, dans notre longue histoire culturelle, sont caractéristiques de l’érotisme : ritualisation, purification, vénusté, jeux de regards et jeux d’eau dans des espaces clos ou, en tout cas, protecteurs, innocence dévoilée à la convoitise, propreté et fraîcheur appelant à la concupiscence. La scène est célèbre qui, chez Zola, met aux prises Nana – « au sortir du bain », et « vêtue seulement d’un grand peignoir de flanelle blanche et rouge » – avec le capitaine Philippe qui vient de lui offrir un drageoir ancien4. C’est cette érotisation de l’hygiène que l’on retrouve, en réalité, dans les publicités postmodernes pour les cosmétiques. Je pense, par exemple, aux réclames pour le gel douche Tahiti (http://www.ina.fr/pub/hygiene-beaute-sante/video/PUB3784137143/tahiti-douche-gel-douche-monoi.fr.html), retombée directe dans la culture de masse des représentations érotiques de Téha’amana, la compagne polynésienne de Gauguin, ou au spot publicitaire pour le parfum Dior (http://www.dailymotion.com/video/x253ha_pub-j-adore-dior-avec-charlize-ther_people) qui met en scène la superbe Charlize Theron, en une esthétique mêlant étrangement les univers baroque, baudelairien et gainsbourien.
1 Cf. Marie-Thérèse Duflos-Priot, « Le Maquillage, séduction protocolaire et artifice normalisé » in Communications, vol. XXXXVI, 1987, p.245-253.
2 Jean Baudrillard, op.cit., p.70.
3 Voir, notamment, Denise Jodelet, « Imaginaires érotiques de l’hygiène féminine intime. Approche anthropologique » in Connexions, vol. I, n°87, p.105-127. On se reportera aussi au très beau livre de Jacque Bonnet, Femmes au bain. Du voyeurisme dans la peinture occidentale, Paris, Hazan, 2006.
4 Émile Zola, Nana (1880), Paris, Garnier, coll. « Classiques », 1994, p337-338.

lundi 6 février 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 8




Dans un autre exemple, l’héroïne est inconnue, c’est l’ours qui est la star : Winnie the Pooh, lui-même, l’ours d’Alan Milne et d’Ernst Shepard rendu célèbre par Walt Disney dès avant-guerre. Est-ce dans la forêt des rêves bleus que la scène se déroule ? Ou bien dans la douce pinède où se tient le « camp » de la Pop Tart dont je viens de parler ? Las, on ne le saura jamais. On voit simplement, en gros plan, le placide ourson besogner, more canino, une fort jolie blonde qui, manifestement, prend grand plaisir aux entreprises sexuelles du grizzly de velours beige qui la fixe, from behind, de ses yeux espiègles. Cette affiche joue à tel point sur les codes enfantins qu’elle en paraît obscène, au sens où l’obscène est une « mise en scène de situations désavouées par une communauté, c’est-à-dire transgressives à l’égard des bienséances et de l’“ordre établi” »1. Cependant, conformément à la logique allocentrique de la postmodernité, où les égoïstes les plus acharnés et les plus grands voraces, jouent avec passion leur rôle d’altruiste, l’érotisation se trouve ici mise au service d’une cause – en l’occurrence la lutte contre le Sida. Car ne croyons pas trop hâtivement que Winnie défouraille sa blondinette à la peau dorée pour leur seul plaisir, fut-il partagé ! Ce serait par trop immoral ! Il faut un beau message, édifiant. Et follement clair : « Pour qu’une simple promenade en forêt, ne se transforme pas en cauchemar : protégez-vous ! » C’est peut-être bien là le pis de la postmodernité, que l’infantilisation se soit accompagnée d’une telle moralisation de la πόλις qu’elle nous empêche de jouir en toute liberté et en toute raison, comme le pouvaient faire avec bonheur les libertins des Lumières. Car il n’y a pas, hélas, qu’à l’Université que la pensée politiquement correcte s’impose : elle triomphe également dans les mass medias vidant de leur charge érotique les plus beaux corps et les situations les plus abracadabrantes. « Que reste-t-il de l’impertinence des libertins du XVIIIe siècle, des folies de la Belle-Époque ? » s’interrogeait récemment Hans-Jürgen Döpp. Très peu de choses, au vrai2. Je me garderai bien, cependant, de rejoindre le concert des tristes sires pour qui notre société de consommation n’aurait nulle beauté, nul attrait. Ces casse-pieds qui rêvent de nouvelles « dictatures du chagrin » sont tout aussi anérotiques que le consumérisme un peu niais qu’ils conspuent, sourds qu’ils sont aux charmes de la légèreté postmoderne. Pourtant, la longue époque qui court des fifties jusqu’à la destruction terroriste des twin towers a ses charmes, indéniables selon moi : extensibilité et multiplicité des désirs, ironie polissonne tenant à distance les discours indigestes de la tradition sentimentaliste, nouveau libertinage induit par cette « vie en séquence-flash » par laquelle « l’individu postmoderne cherche à se mettre à l’abri des turbulences qui frappent le monde dans lequel il vit »3, exploration des possibles singulièrement renforcée par la mode – surtout féminine – de la flexisexuality (qu’indique la multiplication des baisers lesbiens de stars pourtant reconnues comme des croqueuses d’hommes : Britney Spears et Madonna, Christina Aguliera et ladite Madonna, Scarlett Johanson et Sandra Bullock au Mtv Music Awards). Parallèlement, la société de consommation a ses bienfaits, et l’abondance des loisirs et des cultures, loin de nuire à la créativité, favorise l’inventivité, en l’occurrence en matière érotique. Faut-il vraiment, selon les mots de Jankélévitch, déplorer l’ennui « d’être trop riche ou trop heureux » — serait-il donc préférable « d’être pauvre et seul »4 ? Certes, la dictature de la bonne santé peut agacer, notamment les fumeurs et les soiffards – qui ne peuvent plus assouvir leur passion que dans une culpabilité source d’angoisse chronique. Faut-il pour autant regretter que l’apparence et la beauté soient valorisées ?
1 Agathe Simon, « Georges Bataille : l’obscène et l’obsédant » in La Voix du Regard, n°15, automne 2002, p.19.
2 Hans-Jürgen Döpp, Erotische Kunst, Zürich & New York, Stemmle, 2006.
3 Yves Boivert, Le Monde postmoderne : analyse du discours sur la postmodernité, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques Sociales », p.96.
4 Vladimir Jankélévitch, L’Ironie, Paris, Flammarion,1964, p.54.

samedi 4 février 2012

Comparatisme 3D



Désormais disponible dans les librairies hexagonales ou par commande via mail sur info@limproviste.com



LE COMPARATISME, UN UNIVERS EN 3D ?
Antonio DOMÍNGUEZ LEIVA, Sébastien HUBIER et Frédérique TOUDOIRE-SURLAPIERRE

Prôner un nouveau comparatisme en 3D, ce n’est pas sacrifier à la dernière prouesse de la technique à la mode, c’est réclamer plus de profondeur pour le regard et plus de relief pour l’objet contemplé. L’ambition de ce livre est double et s’inscrit dans le contexte historique immédiatement contemporain.
D’une part, en plaçant l’avenir de la Littérature Comparée dans la continuité historique d’une réflexion sur la culture et sur les modalités de son interprétation ; d’autre part, en montrant que la notion de littérature (et les formes d’expression artistiques qui l’accompagnent) est inséparable d’une réflexion sur les instruments de compréhension d’une culture contemporaine, sans doute en crise, mais toujours mouvante.


Si l´ouvrage s´intéresse à quantité d´aspects inhérents aux nouveaux regards sur les pratiques et les théories de la Littérature Comparée, la question des interactions entre cultures populaires et cultures savantes y est particulièrement importante, ainsi que celle des rapports entre le littéraire et le transmédiatique contemporain au sens large





Antonio Domínguez Leiva est professeur à l’UQAM (Montréal) et l’auteur de travaux sur l’histoire culturelle de la cruauté et de l’érotisme.

Sébastien Hubier enseigne à l’université de Reims et au campus transatlantique de l’Institut d’Études Politiques de Paris. Il est l’auteur d’ouvrages portant sur les représentations culturelles de l’intimité, notamment dans le champ érotique.

Frédérique Toudoire-Surlapierre est professeur en Littérature Comparée à l’université de Haute-Alsace. Elle a publié plusieurs livres consacrés à la critique, aux littératures nordiques, au théâtre et aux rapports entre littérature et arts

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 7






















Il me semble qu’il faudrait notamment le rapprocher du concept américain de care ou de la notion japonaise d’amae (甘え) qui indique à quel point la mutation postmoderne a rétabli le matriarcat1. Au demeurant, la sensualité nippone et son pendant continental qu’est la lasciveté coréenne (sud-coréenne, cela va sans dire !), qui valorisent tellement l’adolescence, multiplient, de façon littéralement extraordinaire, les représentations des Sexy Teddies. Je pense notamment aux belles photographies de Gu-Ji-Sung et, plus encore, de Im So Yeon, autre mannequin coréen – auxquelles il faudrait ajouter Lee Ji Woo et Kim Tae Hee qui sont aussi de grandes ursophiles dont les regards expriment toujours une tendre inflexibilité. Car la postmodernité n’est pas seulement le siècle de l’érotisation de la puérilité. C’est aussi le règne de l’homo festivus – qui, « désinhibé à mort », « fait la fête, mais [...] ne rit pas parce qu’il est plus ou moins retombé en enfance et que le rire suppose un fond d’incertitude dont l’enfant a horreur »2 – et de l’homo sentimentalis, cet individu qui érige les grands sentiments en valeur, qui les hystérise, au sens où « hystériser, c’est mettre du désir, de la libido là où, au premier abord, il n’y a pas lieu d’en mettre », au sens où « c’est faire naître dans le corps de l’autre un foyer ardent de libido [...], c’est érotiser une expression humaine quelle qu’elle soit alors que par elle-même, intimement, elle n’était pas de nature sexuelle »3. C’est ce que font les stars qui, enthousiasmées par de grandes causes – famines, maladies orphelines, raz-de-marée – n’hésitent point à se dévêtir pour elles, érotisant ainsi les causes qu’elles défendent. Et voilà que reparaissent les ours voluptueux ! Britney Spears, l’interprète inoubliable de Oops!... I did it again, chef-d’œuvre absolu du néo-baroque, enserrant un Teddy Bear qui, bien plus vêtu qu’elle, porte un lainage aux armes de sa fondation, laquelle a pour but d’offrir aux enfants pauvres des vacances dans un « camp » où ils auront la chance de suivre des cours de danse et de chant (« to send the children and youngsters of limited means on a summer camp, where they can learn to sing and dance and work with other forms of art »). L’ours grimpe bientôt sur les épaules de la chanteuse qui, en contrapposto (attitude baroque, s’il en est), porte seulement un bikini à pois et des talons aiguilles. Les paupières à demi-baissées, son regard allie la provocation, la séduction, la candeur. Jamais l’indigence n’a été si séduisante et nombreux sont ceux qui accueilleraient sereins la misère la plus noire pour aller en « camp » apprendre à danser avec cette baladine, disons, le menuet baroque.










1 Michel Maffesoli, La Part du Diable (précis de subversion postmoderne), Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2002.
2 Philippe Muray, Festivus Festivus, Paris, Fayard, 2005, p.35.
3 Juan-David Nasio, L’Hystérie, ou l’enfant magnifique de la psychanalyse, Paris, Payot, 2001, p.74.

vendredi 3 février 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 6





















Ainsi, lorsque la belle Megan Fox, dont je parlais précédemment, posa avec ses nounours pour FHM, ce fut certes dans une tenue et des positions pour le moins évocatrices – brassière de satin ou de fines dentelles, culotte à rubans et à lacets, posture d’odalisque ou à croupetons sur son vaste lit. Mais ce ne fut point nue. De même lorsque que Paris Hilton, vêtue d’une simple culotte d’organsin jaune, étouffa un magnifique ursidé de peluche dans FHM/GQ, c’était pour dire le plus sérieusement du monde qu’elle avait laissé choir Cristiano Ronaldo parce qu’elle refusait de se contenter d’être une femme de footballeur. Il est assez agaçant de penser qu’elle eût tout aussi bien pu dire, quelques mois auparavant et dans une tenue pareillement « bandative », pour reprendre un terme cher à Apollinaire et à Céline, qu’elle vivait avec son sportif parce qu’elle refusait d’être simplement une héritière multimillionaire. Pourquoi donc Paris Hilton, qui a grandi au Waldorf-Astoria, sur Park Avenue, et qui fut élevée dans les meilleures écoles (Buckley, Canterbury, Dwight), aime tant à jouer un rôle de petite fille simplette. Tout simplement parce qu’à l’époque postmoderne, ce n’est plus la violence qui est érotisée, comme chez Georges Bataille, c’est la niaiserie et une forme singulière de futilité, sinon de sottise qui le sont, comme chez Françoise Rey. Ainsi, lorsque, en janvier 2011, dans Allure, Jennifer Aniston minauda avec son ours, vêtue d’un pyjama qui la laissait pour le moins débraillée, c’était, disait-elle, pour livrer ses secrets les plus intimes (I’m willing to share my most intimate secrets). Les uns s’attendaient à des révélations métaphysiques, d’autres à une confession sur le mode rousseauiste, certains enfin à des confidences croustillantes sur les performances érotiques de Brad Pitt. Tous furent déçus en lisant : « the truth about natural skin care » ! Notre postmodernité correspond bien, partiellement, à une valorisation sans précédent tantôt de la déresponsabilisation, tantôt d’une manière d’infantilisiation obscène ; et dans le domaine de la sexualité aussi – érotisme et pornogaphie, qu’importe – règne l’infantocratie cet « idéal de l’enfance imposé à l’humanité »1. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à considérer Vanessa Hudgens promener, à plus de vingt-trois ans, son ours en le tenant par la patte comme une enfant, envoyant sans cesse, de sa main restée libre, des textos que l’on imagine sans peine truffé de smileys – avec une façon très adulte, pourtant, de se déhancher, sur un mode qui rappelle à l’esthète la statuaire hellénistique. Il y aurait sans doute beaucoup à dire de cet érotisme associant curieusement l’innocence un peu bête de l’extrême jeunesse et la perversité des vrais libertins.










1 Milan Kundera, L’Art du roman, Paris, Gallimard, 1986, p.59.

mardi 31 janvier 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 5










Cependant, le cas de Catwoman reste inhabituel, sinon unique en son genre. L’animalité érotique postmoderne s’est assagie, adoucie, et, en vertu des hypothèses que je formulais précédemment, il n’est pas étonnant que notre monde, âge d’or des cocooning, burrowing et bunkering en soit venu à chérir les nounours en peluche – en les érotisant toutefois, selon les deux principes de la société de consommation : sex is everywhere, sex is for sale. Dans son Extension du domaine de la lutte (1994), Michel Houellebecq, l’écrit sans détour : « dans un système économique où le licenciement est prohibé, chacun réussit plus ou moins à trouver sa place. Dans un système sexuel où l’adultère est prohibé, chacun réussit plus ou moins à trouver son compagnon de lit. En système économique parfaitement libéral, certains accumulent des fortunes considérables ; d’autres croupissent dans le chômage et la misère. En système sexuel parfaitement libéral, certains ont une vie érotique variée et excitante ; d’autres sont réduits à la masturbation et à la solitude »1. Pour consoler ces frustrés, condamnés à des plaisirs misérables et solitaires, la société de consommation – société merveilleuse d’abondance, de spectacle et de divertissement – a dénudé les stars dans les bras desquelles les publicistes, dont l’art consiste « en l’invention d’exposés persuasifs qui ne soient plus ni vrais ni faux »2, ont placé de doux Teddy Bears, images d’un bonheur tranquille, allégories de nos cocons idéalisés.
À y regarder de près, ces Sexy Teddies renvoient à plusieurs registres dominants de notre « ère néobaroque »3. D’abord, la straight hetero porn, la seule qui, en réalité, m’intéresse (les érudits préciseront cependant qu’il existe une bearotic homosexuelle, laquelle n’a rien à voir avec les ours en peluche mais désigne l’érotisme singulier des homosexuels gras et poilus qui refusent les canons de la mode gay). Cette pornographie se décline elle-même en divers hypogenres : les cute bear parties, dans lesquels un cheap’n’dale, déguisé en grizzly, se dévêt peu à peu et satisfait in fine une ou plusieurs spectatrices de son show – généralement à l’occasion d’un anniversaire ou d’une bachelorette party. À cela, il convient d’adjoindre tous les films dans lesquels une porno star considérablement rajeunie use comme d’un amant de son gros nounours en peluche – qu’elle a affublé d’un sexe postiche pour la circonstance, cela va de soi. Les mêmes éléments sont reproduits, mutatis mutandis, dans la presse qui reste, dans le cadre de la pornographie du moins, un média de masse. Ainsi, la revue Barely Legal, filiale du célèbre magazine américain Hustler fondé par l’inénarrable Larry Flynt, met très régulièrement en scène de jeunes et jolies modèles dévêtues et qui se confessent à leur ours : « I’m still a virgin », « all the other girls do it. I want to try ». C’est même, avec les cheerleaders débauchées, une des topiques essentielles de cet hebdomadaire qui répète chaque semaine les mêmes figures : jeunes filles à couettes ou à tresses jouant complaisamment avec des peluches Hello Kitty, des ours brodés de message d’amour et de désir (comme la bimbo Deena Mya embrassant sa peluche I Love you). Plus ou moins régulièrement, d’autres magazines viennent, naturellement, s’inscrire dans ce sillage et connaissent des succès d’autant plus retentissants que la star est célèbre. C’est ainsi qu’en octobre 2008 Lily Cole, la jeune top model britannique, enlaçait, nue à l’exception de longues chaussettes, un gros ours de peluche grise en couverture de Playboy. Cet exemple me conduit à souligner cependant que plus la fille est illustre et plus les images sont soft – ce qui ne signifie nullement qu’elles sont moins suggestives...







1 Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Paris, Maurice Nadeau, 1994, p.87.
2 Jean Baudrillard, La Société de consommation, Paris, Denoël, 1970, p.38.
3 Omar Calabrese, La era neobarroca, Madrid, Cátedra, 1994.

lundi 30 janvier 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 4














Enfin, la violence n’est pas toujours aussi manifeste que l’était le courroux des anciens guerriers écumants, le déchaînement des dieux métamorphosés en taureaux écumant, la furie de centaures enragés de désir comme Nessos pour Déjanire, la jolie femme d’Héraklès. L’animalité peut se faire discrète et mignarde – ce qui ne lui ôte en rien sa charge érotique. Ainsi, quatre petites toiles de Fragonard mettent clairement au jour, ce me semble, ce processus de transformation de l’animalité violente en gentillesse mignonne, en grâce délicate, en bienveillance affectée : Jeune fille aux petits chiens, Deux jeunes filles sur leur lit jouant avec leurs chiens, les deux versions de la Gimblette. Dans la première, qui ressemble à une esquisse, la minauderie d’une belle enfant se mêle indissolublement à la tendresse, et la douceur altruiste du geste est compensée par le déshabillé blanc, assez coquin, il faut bien le dire – d’autant que comme s’en amusait Armistead Maupin, « l’innocence est quelque chose de très érotique ». Dans la deuxième, une jeune fille à la chemise indécemment retroussée joue, debout sur sa couche, avec un chiot qui se prend dans ses jambes. Son amie, au chigon défait et qui partage son lit, joue, de son côté, au milieu des tentures d’or, avec un chiot blanc qui semble de peluche. Dans les deux dernières, une fille fort fraîche, renversée nue sur son lit, joue à soulever délicatement un chiot qu’elle tient entre ses pieds – posture qui révèle ses jeunes attraits. Cette mièvrerie érotisée de l’animal domestique parcourt le XIXe siècle bourgeois ; et les femmes et jeunes filles au chat de Renoir sont, par exemple, sont si célèbres que Picasso s’emploiera à les déconstruire dans ses fameux Desnudo acostado con flor y gato. Cette érotisation de l’animal – amollissement bourgeois de l’animalité bataillienne – a naturellement gagné le star system. Cameron Diaz se présentait récemment aux paparazzi, mi-maternelle mi-lascive avec un chiot qu’elle protégeait, à même sa peau, sous un grand pull de laine d’Écosse, tandis qu’Ashley Greene faisait, avec la plus grande langueur, l’éloge amoureux de son chien, Marlow, dans le magazine américain Maxim. Est-ce à dire que l’animalité érotique aurait tout perdu de sa violence à l’ère postmoderne ? Non, ce serait faire fi, par exemple, de Catwoman, féline jusques au bout du fouet. Ce personnage, créé en 1940 pour les DC Comics de la Warner, appelle plusieurs commentaires. Au fil du temps, la femme-chat a beaucoup changé, devenant toujours plus provocatrice et dominatrice. En effet, lors de sa première apparition au cinéma, en 1966, Lee Meriwether jouait le rôle d’une femme-chat plutôt obéissante dont l’innocence séduisait Batman. En 1972, Catwoman devient exubérante et manie désormais le martinet avec la virtuosité d’une maîtresse d’école victorienne. Significativement, c’est au moment où le costume en latex se raffine que le rôle de la femme-chat, incarnée par Sofia Moran, devient plus marquant. Cependant, c’est Michelle Pfeiffer qui, avec le Batman Returns (1992) de Tim Burton, confère à Catwoman sa véritable mesure érotique et animale. L’imaginaire S.M. fonctionne à plein dans un film qui accorde une place essentielle au fétichisme de l’héroïne, si belle dans un costume de vinyle noir renforçant sa dimension féline, c’est-à-dire joueuse, espiègle et batailleuse. Enfin, Halle Berry, accentue, en 2004, la sexualisation d’un personnage qui n’avait jamais été si dévêtu. On a beaucoup parlé de Megan Fox pour incarner prochainement Catwoman, il est tout à fait clair que si l’on se réfère à la pensée de Bataille ce serait là un choix excellent, associant la beauté au désordre, à la violence, à l’indignité, à l’animalité et aussi à une intelligence érudite et raffinée. Il faudrait simplement que les modistes lui inventassent un costume suffisamment dénudé pour qu’on puisse lire sur son omoplate droite la citation du Roi Lear qui y est tatouée : « We will all laugh at gilded butterflies ».

vendredi 27 janvier 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 3







Les liens entre érotisme et violence sont étroits et même si l’on ne va pas jusque à suivre Julien Green pour lequel, suivant les leçons du divin marquis de Sade, « l’aboutissement normal de l’érotisme est l’assassinat »1, il est indubitable que tout érotisme est emportement, rage, effraction, violence. Ἔρως, en nous possèdant, nous met hors de nous.
C’est là ce qui explique l’importance du motif de l’enlèvement, si fréquent en matière érotique. Autre temps, autre mœurs ! Les tristes guerres d’aujourd’hui, on les doit à la voracité des magnas du pétrole, à la bêtise obstinée des terroristes, à la jobardise des mercenaires de Dieu. La guerre de Troie, les hommes de l’époque mycénienne la devait aux seins blancs d’Hélène, à ses étreintes brûlantes dont tous rêvaient, officiers et philosophes, rois et poètes. Parce qu’elle était très belle, il semblait naturel qu’elle fut souvent enlevée. Ainsi, quant elle eut douze ans – l’âge de la Lolita de Humbert Humbert – Thésée, aidé de son ami Pirithoos, qui s’était récemment, comme lui, trouvé veuf la ravit alors qu’elle dansait dans le temple d’Artémis. Plus tard alors qu’elle est devenue la femme de Ménélas, Pâris, ambassadeur de Troie à Sparte, la séduit, et, après avoir escamoté les coffres de Ménélas, il s’enfuit avec elle. Quelle histoire ! L’enlèvement des Sabines, sans être tout à fait aussi romanesque, rapproche aussi le désir et la violence. Avant d’être les maîtres du monde, les Romains furent un peuple d’esclaves en fuite, de criminels et de brigands. Or voilà cette belle troupe de coupe-jarret, dans cet endroit de rêve que forment les boucles du Tibre, sans femme aucune. Se rendant chez les Sabins leurs voisins, ils leur demandent tout de go des femmes (femmes-objets, encore une fois, dans une société odieusement patriarcale...) Comment les Sabins, qui étaient raffinés, eussent-ils pu acquiescer à une telle demande ? Encore une fois, il fallait que la ruse et la violence s’en mêlassent. La suite est connue : la bombance organisée par Romulus, l’ébriété des Sabins, l’amour du fils de Mars pour Réa, la jalousie de Dusia. Tout cela est anecdotique et fit les belles heures des collèges avant d’assurer, aujourd’hui, celle des premiers cycles universitaires, hantés par les textes prétendument fondateurs. On aurait bien tort de croire que toutes ces histoires sont le propre de la culture savante, d’Hérodote, d’Eschyle, d’Ovide, de Dion Chrysostome ou de Coluthus. D’un côté, dans la culture de masse de nos sociétés industrielles de consommation dirigée, l’association de la violence et du désir préside au genre hollywoodien de l’erotic thriller – pour ne rien dire des japanese rape cartoons où des samouraïs dévoyés kidnappent de charmantes lolycéennes qui, tout en faisant mine de se défendre et de s'effaroucher, trouvent vite de l’attrait aux violences dont elles sont l’objet. D’un autre côté, la culture populaire a fort longtemps goûté le thème des ourseries qui ont conservé une importance particulière dans les croyances des contrées septentrionales. On recense ainsi quantité de rites festifs et carnavalesques où des hommes-ours ou des façons d’ « ours-garous » se précipitent dans les villages et y ravissent, au double sens du terme, d’adorables jeunes filles. Ces fêtes populaires, qui n’ont rien du pince-fesses bourgeois, sont naturellement une coutume érotique, liée au folklore nuptial et, au-delà, à un rite de passage à la nubilité. Parallèlement, de nombreux contes populaires sont le récit de l’enlèvement d’une jeune femme par un féroce plantigrade sur le modèle « rapt-coït-fécondation-naissance d’un être hybride-héroïsation de l’enfant et inscription de celui-ci en tête d’une généalogie : autant d'éléments qui ne sauraient laisser indifférent celui qui pratique la grammaire mythologique des Grecs »2. Cette structure imaginaire est bien plus prégnante qu’on ne le pourrait croire d’entrée de jeu, au point qu’elle informe des textes de la culture savante, au premier rang desquels Lokis (1868) de Mérimée dont Michel Pastoureau écrit avec raison qu’elle est « une des plus belles nouvelles de la littérature française du XIXe siècle. Mais c’est aussi un conte cruel qui fait écho à tous les récits plus anciens mettant en scène un ours mâle pris d’un désir monstrueux pour une jeune femme »3. De tout ce qui précède, on pourrait, me semble-t-il, tirer déjà quelques conclusions. D’une part, « le message véhiculé par la pornographie fonctionne très différemment de celui de la peinture et la sculpture classique qui [...] ont constamment mis en scène et rendue esthétique/érotique la violence masculine, sous la forme du viol ou du rapt. Le contenu de certaines œuvres érotiques, en dépit de leur esthétisme, est plus violent que la pornographie »4. D’autre part, il est bel et bien un continuum « de l’Olympe au cybersexe », pour reprendre la belle expression de Pierre-Marc de Biasi. Cependant, même si un enchaînement de références unit de proche en proche Tite-Live à Jean de Bologne, Rubens à Poussin, Pierre de Cortone à Évariste-Vital Luminais, Richard Pottier à Wolfgang Petersen, c’est moins la quête des sources et des influences qui importe que la volonté de comprendre pourquoi règne cette entente inconvenante entre un persécuteur exalté et sa victime satisfaite. Pourquoi le rapt est-il presque invariablement figuré comme une liaison intime et l’enlèvement comme une manière de danse érotique ? Pourquoi cette série d’analogies entre mystère et émoi, espérance et fièvre, ravissement et violence, soumission et outrage, sensualité et brutalité, plaisir et outrance ? Pourquoi cette violence protéiforme conjointement force, pouvoir, pulsion, contrainte, oppression, transgression, agressivité, renversements et destruction, brutalité, jeu et spontanéité, colère, impatience, assouvissement du désir et exploration du monde des rêves ? La philosophie de Bataille répond pour partie à ces questions en associant, par le biais des notions de transgression et d’effraction, meurtre et désir. Dans le premier cas, le corps est rompu et profané ; dans le second, c’est une déchirure de l’intériorité qui émeut, effarouche et méduse les amants. Dans la violence de l’étreinte, le corps obéit à une rage où nul ne se reconnaît plus : ces valeurs bourgeoises que sont la rentabilité, la respectabilité, la raison s’effacent au profit de l’enivrement qui n’est rien d’autre qu’une fuite hors de soi5.






1 J. Green, Le Bel aujourd’hui, Journal, 18 vol., t.VII, Paris, Plon, 1958, p.125.
2 Pierre Brulé, « De Brauron aux Pyrénées et retour : dans les pattes de l’ours » in Dialogue d’histoire ancienne, XVI, n°2, 1990, p.18.
3 Michel Pastoureau, L’Ours. Histoire d’un roi déchu, Paris, Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 2007, p.290.
4 Pascale Molinier, « La Pornographie “en situation” » in Cités, III, n°15, Paris, Puf, 2003, p.62.
5 On le devine à la lecture de ces lignes, on pourrait mener une étude bataillienne tout à fait passionnnante de l’histoire rocambolesque dont la suite 2806 du Sofitel de la 44e rue fut, l'an passé, le cadre à New York. Il n’est pas certain, hélas, qu’une telle analyse ferait autant recette que les récits croustillants immédiatement relatés par le New York Daily News. Décidément, haste makes waste...

mardi 24 janvier 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 2







Dans leur volonté parfois provocatrice, ces clichés noirs et blancs ont de baroque la difformité des corps qu’ils présentent, l’extrême blancheur des peaux, les ambiguïtés sexuelles, la réflexion mélancolique sur l’amour et le temps qui passe, hélas. « Ces corps mêlés qui, se tordant, se pâmant, s’abîment dans des excès de volupté, sont à l’opposé de ce qui les vouera plus tard au silence de la corruption »1. Et les mêmes remarques valent pour beaucoup d’œuvres contemporaines qui, modifiant notre image des corps, contreviennent aux identités organiques, redéfinissent les interdits anciens et les vieilles limites, mettent systématiquement en scène, dans le cadre d’un nouvel érotisme, les souffrances et la mort (Inez Van Lamsweerde, André Serrano, Bob Flanagan, Nobuyoshi Araki). Or, cet érotisme est d’autant plus efficace qu’il ne transgresse plus seulement l’ordre moral et ses censures mais aussi la permissivité et l’incessante promotion d’une sexualité innocente, toute naturelle.
Ainsi, l’érotisme nous distingue de l’animalité, tout comme le désir se distingue de l’instinct. Ou, plus exactement, il est une façon singulière d’élaborer un art à partir d’une simple fonction biologique, d’un simple besoin physiologique. C’est pourquoi, pour reprendre les termes de Bataille, il relève non de l’utilité, propre au monde du travail organisé, mais de la dépense, caractéristique des dandys, des esthètes, des artistes, des aristocrates et des intellectuels – des intellectuels à l’ancienne, du moins. L’érotisme est donc plus équivoque qu’il n’y paraît. D’un côté, comme le souligne Milan Kundera dans L’Identité, il est, « commercialement, une chose ambiguë car si tout le monde convoite la vie érotique, tout le monde aussi la hait comme la cause de ses malheurs, de ses frustrations, de ses envies, de ses complexes, de ses souffrances »2. De l’autre, il met en en jeu notre part d’animalité pour la détourner. C’est là ce qui motive les investissements fétichistes de tous les fragments de bête en l’humain et qui sont autant de tabous, en ce qu’ils relèvent du sacré au sens étymologique où Bataille l’entendait : le sacer opposé au profanus. Voilà qui explique quantité d’investissements fétichistes ou d’interdits érotiques : la prohibition de l’exhibition du système pileux dans la pornographie japonaise, le mansclaping, que les métrosexuels ont emprunté aux homophiles, l’acomoclitisme dont il faudrait au reste faire toute une histoire comparatiste sur le modèle de celles de l’odorat et de l’orgasme proposées par Alain Corbin et Robert Muchembled. Ainsi, dans l’Égypte de Néfertiti, le corps lisse et sans poil était seul signe de beauté absolue, de jeunesse et d’innocence. En Perse, l’épilation pubienne s’imposait comme un rite religieux et dans la Grèce de Rhodope et d’Aspasie, comme dans la Rome des bacchantes, les femmes avec des poils sur le pubis étaient considérées comme abominables, monstrueuses, horror horribilis. En revanche, Catherine de Médicis interdit aux dames de sa cour de s’épiler, tandis que les Années folles inventèrent la Bush-coiffure, la mise en plis des poils pubiens. A contrario, depuis les swinging sixties, l’épilation intime est redevenue en vogue, grâce notamment à l’influence qu’exerce sur les esprits la pornographie de masse. Cependant, en Corée, l’implantation de poils pubiens est courante et dans le japon postmoderne des pinsaro (ピンサロ) qui ne sont rien d’autre que des bars à fellations, les jeunes filles se couvrent le bas-ventre de perruques pubiennes (nommées merkin ou « Fleur nocturne »). De même que le souvenir humain de l’animalité explique que les représentations de la pilosité oscillent entre le rejet, la sublimation et le contre-investissement ornemental, il motive l’alternance culturelle entre révulsion du pied et podophilie. Si la Chine, par exemple, du Xe au XIXe siècle, pratiqua si assidument le « pied de lys », c’est parce que le pied féminin était considéré comme la partie la plus sexy du corps, un parfait fétiche, un membre authentiquement glamour. Voilà, du reste, pourquoi les petits souliers traditionnellement portés durant le mariage présentaient des scènes érotiques explicites – un érotisme de soumission à l’homme, où la jeune fille aux pieds éduqués était une offrande ; les féministes parleraient aujourd’hui de femme objet, victime du sexisme et du système patriarcal. On aurait bien tort de croire qu’une telle érotisation est orientale. En effet, du « pied mignon » des XVIIIe et XIXe siècles au footjobs et shoejobs de la pornographie hypermoderne, les fantasmes podophiles – tout comme la podiaphilie et autres amours ancillaires – occupent une place centrale dans l’échauffement des sens occidentaux.






1 Ibid.
2 Milan Kundera, L’Identité, Paris, Gallimard, 1998, p.54.

lundi 23 janvier 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 1







La philosophie de Bataille est une anthropologie culturelle qui tente d’expliquer comment s’associent ou se désunissent au fil du temps certaines représentations sociales : érotisme et mysticisme chez les baroques, littérature et excès à l’époque du marquis de Sade, volupté et potlatch dans les sociétés du labeur organisé. Mais cette méthode est aussi une sémiologie qui vise à comprendre les sociétés humaines et à savoir pourquoi l’on en est venu à penser comme on pense. Certes, il existe des signes politiques, religieux, diplomatiques, que sais-je ? Mais les signes essentiels que nous adressons à autrui sont d’abord – et essentiellement – corporels. Or, l’intérêt de la philosophie de Bataille tient d’abord à l’attention qu’elle a porté aux corps, en s’attachant, notamment, à la distinction de l’homme et de l’animal. La déclaration des Larmes d’Éros fut longtemps célèbre : « l’animal... Le singe, dont parfois la sensualité s’exaspère, ignore l’érotisme »1. Certes – et les environnementalistes tant en vogue aujourd’hui en font la pierre de touche de leur prétendue métaphysique –, d’un point de vue biologique, l’être humain est un animal. Pour autant, il est supérieur à tous les autres en ce qu’il connaît l’érotisme, cette « approbation de la vie jusque dans la mort »2. Au surplus, l’Homme (certains hommes, du moins, le sont) est capable d’objectiver son existence quotidienne, de la considérer avec quelque distance intellectuelle, avec un peu d’humour. En d’autres termes, le rapport érotique à la vie dépend de notre vie intérieure. En cela, l’érotisme ne serait rien d’autre que le signe des mouvements qui agitent nos âmes et notre entendement. Une première conséquence s’impose d’elle-même : la profondeur de pensée et la rapidité d’esprit n’étant pas égale entre les individus, ceux-ci ne sont pas tous pareillement doués pour l’érotisme – thèse susceptible de heurter, pour le moins, notre actuel political correctness qui, intrinsèquement égalitariste, rabotent et nivellent les rêves des pauvres et les cauchemars des riches. Mais, quel est donc, pour Bataille, l’obsession de la conscience humaine ? C’est « que nous vivons dans la sombre perspective de la mort », en foi de quoi « nous connaissons la violence exaspérée, la violence désespérée de l’érotisme »3. On comprend à lire cette phrase pourquoi les féminolâtres qui sont désormais légion dans les mass-médias et dans le champ politique détestent naturellement – quand elles la connaissent ! la pensée de Bataille. On saisit aussi la portée de l’érotisme à l’âge baroque – ou, plus exactement, aux ères baroques car notre postmodernité inquiète n’est rien d’autre qu’une résurgence du baroque, cette « pastorale de la peur », elle-même directement liée au thème théologique de la colère de Dieu4. C’est pourquoi, du reste, le roman postmoderne, comme le roman baroque, représente d’abord une exploration des possible dans lequel l’auteur, qui a tous les droits, multiplie les digressions et les citations non seulement pour faire rire et penser (Rabelais, Cervantès, Sterne, Diderot, M. Kundera) mais encore pour susciter l’angoisse et la nostalgie (Maurice Dantec, Michel Houellebecq). Ainsi, comme le baroque, l’esthétique postmoderne est certes noire et parananoïde, mais aussi ludique et parodique. Dans le cadre de l’érotisme, les photographies de Jan Saudek (The Saint, The Violin Lesson, Tango, Eine Tanzerin) ou de Sára Saudková (At Home Alone, Love Letters) montrent assez clairement, ce me semble, ce renouveau du bizarre anxiogène mêlant l’intimité au secret, à la jalousie, au voyeurisme, au fétichisme, à la transgression systématique des interdits, combinant le nu au vêtement, le masculin au féminin, l’adulte à l’enfant.






1 Georges Bataille, Les Larmes d’Éros, Paris, Pauvert, 1961, p.22.
2 Georges Bataille, La Littérature et le mal, Paris, Gallimard, 1957, p.21.
3 Georges Bataille, Les Larmes d’Éros, éd.cit., p.22.
4 Jean Delumeau, La Peur en Occident (XIVe-XVIIIe siècles), Paris, Fayard, 1979 & Le Péché et la peur. La culpabilisation en Occident (XIIIe-XVIIIe siècles), Paris, Fayard, 1983. Voir aussi Augustin Redondo (éd.), La Peur de la mort en Espagne au Siècle d’or, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 1993.